Terriblement
vert !
Hubert Ben Kemoun
Chapitre 1 : Rarissimes
Oncle Julius était de retour ! Ça c'était
un événement exceptionnel ! Il était
toujours parti aux quatre coins du monde. De temps en temps,
il nous envoyait une carte postale du fin fond de la Mongolie
ou des rivages de la Terre de Feu au sud de l'Amérique
du Sud, et sa dernière visite remontait à plus
d'un an. Voilà qu'il débarquait sans prévenir.
Il était là, dans notre ville, attendant que
sa soeur - ma mère - vienne le chercher au bar de l'aéroport.
Aussi émue qu'excitée, maman perdit d'abord
ses clefs de voiture (elle hurlait : « Bon sang, Samuel,
cherche-les avec moi ! »). Une fois qu'elle eut mis
la main sur son trousseau (les clefs étaient à
leur place, au fond de son sac), après nous avoir fait
dévaler l'escalier quatre à quatre et m'avoir
poussé dans la voiture... elle dut remonter chez nous.
Elle était descendue avec ses pantoufles vertes, celles
ornées d'abominables pompons roses... Pour accueillir
Julius, le grand aventurier de la famille, ce n'était
pas la meilleure tenue !
-
Ensuite, en Argentine, j'ai traversé le désert
de Patagonie au volant d'une Jeep complètement déglinguer.
Cela m'a pris trois semaines. De retour à Buenos Aires
avec ma cargaison de graines, j'ai pris un avion pour la France,
et me voilà !
- Tu récoltes des graines ? a demandé ma mère
en lui servant un troisième café.
- Pas n'importe quelles graines, des " Galéaparsos
" ! Tu ne le sais pas, mais elles sont rarissimes et
donnent des arbres de deux mètres de haut.
Mes graines intéressent les laboratoires qui en extraient
des vaccins contre certaines épidémies... Chacune
d'elles vaut une fortune ! C'est pour cela que je suis ici.
Après, on m'attend dans quinze jours à Bandjarmasin
- Où ça ? ai-je demandé.
Depuis une heure, j'écoutais Julius et je sentais déjà
que deux semaines ne lui suffiraient pas à nous raconter
ses innombrables aventures.
- Bandjarmasin est une villee de Bornéo. sur la mer
de Java. Je dois y mener une expédition dans la jungle
!
Tous ces noms inconnus me berçaient. Oncle Ju1ius évoquait
des contrées lointaines comme s' il parlait de la rue
d'à côté. Lui, son terrain de jeux, C'était
la Terre !
- Il faudrait déposer les graines dans un endroit frais,
en attendant mes rendez-vous avec les laboratoires.
- Ce n'est pas dangereux au moins ? s'est écriée
ma mère.
- Non ! Simplement, il faut éviter de les exposer à
la lumière et à la chaleur. Elles pourraient
être perdues.
Julius éteignit la lumière du salon puis sortit
de sa valise une boîte en bois clair.
Il l'ouvrit sous mon nez dans la pénombre.
- Regarde, Samuel voilà les Galéaparsos !
Une trentaine de petites graines brun foncé se serraient
au fond de la boîte de mon oncle. J'avais beau me dire
qu'elles étaient précieuses et rares je ne voyais
là que de drôles de noisettes sombres comme on
en trouve au rayon fruits et légumes des supermarchés.
- Je te les confies Sam ! Va les mettre au frigo ! Et pas
de bêtises n'est-ce pas ?
Bien entendu, j'ai promis. Et si tout ce qui s'est passé
ensuite est arrivé ce n'est pas vraiment ma faute.
Chapitre 2 : rouge et vert
Lionel venait de traverser la jungle sans perdre une seule
vie et, chaussé de rollers supersoniques, il entrait
dans le labyrinthe des morts vivants.
Affalé à côté de lui sur le tapis
du salon, j'attendais qu'il meure pour prendre possession
de la manette de jeu et tenter de le rattraper.
- Et où il est en ce moment, ton super tonton ? m'a-t-il
demandé tout en évitant deux macchabées
armés de tibias paralysants.
- Il avait des rendez-vous pour son boulot. Il a pris la voiture
de ma mère et il rentrera peut-être tard. Bon,
tu te décides à perdre !?
Ce mercredi, Lionel était venu passer l'après-midi
avec moi. Pas seulement parce que sa console de jeux était
en panne, mais parce que
les parties de Total Chaos sont bien plus drôles à
deux ( sauf si Lionel gagne tout le temps).
C'est dans la " crypte infernale " que les crânes
explosifs ont eu raison de son talent de joueur. C'était
enfin mon tour de saisir la manette.
- De toute façon, javais des crampes dans les
mollets
a-t-il fait en se levant. Si on grignotait un
truc ? ça creuse, les morts vivants !
- Je joue d'abord, tu veux. J'attends ça depuis assez
longtemps !
- Si tu permets, je vais me servir un bol de céréales
! ça te dit ?
- Y a aussi des bonbons et des gâteaux dans les placards
et puis plein d'autres trucs ! Ma mère prévoit
toujours dix fois trop quand elle me laisse seul le mercredi
après-midi ! Cherche ton bonheur dans la cuisine, quand
tu reviendras, je serai sorti de la jungle et je t'aurai rattrapé
!
- Tu rêves ! L'ai-je entendu crier depuis le couloir.
Non, je ne rêvais pas. Lorsque Lionel est revenu au
salon avec un plateau goûter, je m'attaquais aux morts
vivants.
- Vachement fameuses, tes pastilles. C'est du réglisse
?
- Si tu crois que je connais par coeur tout ce que ma mère
fourre dans les placards !
Trop occupé à éviter les assauts d'une
armada de pierres tombales, je n'écoutais pas mon ami.
- Non, tes bonbons, je les ai trouvés dans le frigo.
Un peu durs à mâcher, mais succulents.
- Dans le frigo ?! j'ai hurlé en lâchant brusquement
la manette.
- Du calme, je t'en ai laissé ! Tout sourires, Lionel
me désignait la boîte de Galéaparsos ouverte
entre nous.
- T'as mangé ça ?! ai-je continué à
crier d'une voix digne des personnages de Total Chaos.
- Juste deux ou trois ! Arrête de brailler, il t'en
reste ! C'est vrai, si tu voyais ta tête, Sam ! T'es
tout rouge !
Tout rouge ? Il y avait de quoi ! En face de moi, mon meilleur
ami, celui de toutes les parties de jeux, de tous les secrets,
était en train de prendre une étrange, une abominable,
une terrifiante couleur verte.
Chapitre 3 : Ça pousse !
En un quart d'heure à peine, le visage, les bras et
les mains de Lionel sont passés au vert clair. Son
cou était d'un vert plus foncé.
- Bon sang, qu'est-ce qui m'arrive, Sam ?! a-t-il hurlé
d'une voix aiguë.
- Je ne sais pas ! T'en as mangé combien ?
- Cinq ou six. . , c'était pas du réglisse ?
- Pas vraiment...
- Sam, fais quelque chose ! hurlait Lionel.
- Essaye de te calmer et retire ta chemise qu'on pige ce qui
se passe, ai-je dit bêtement.
Je ne savais pas quoi faire.
Je m'attendais à découvrir Lionel tout vert
; son état était encore plus terrible que ce
que j'avais pu imaginer. Son torse était brun. Pas
couleur de feuille, mais écaillé d'une multitude
de petites écorces marron. Lionel a retiré son
pantalon, ses jambes aussi étaient recouvertes d'une
pellicule brune.
- Bouge pas, j'appelle l'hôpital !
Je n'en menais vraiment pas large.
- Mais c'était quoi dans la boîte ? !
- Des graines que mon oncle a rapportées d'Amérique
du Sud ! T'es en train de germer, Lionel !
- Quoi ?!!! Il tremblait.
Je n'ai pas osé répéter. Il avait très
bien entendu. Il était là, « planté
» dans le salon en face de moi. Ses grands yeux sombres
me fixaient terrorisés. Il ressemblait encore au Lionel
habituel, mais ce n'était plus lui. Comment lui dire
qu'il me faisait peur ?
- T'as mal ? ai-je demandé.
- Non, pas du tout, mais je n'ai jamais eu autant la trouille...
et j'ai très soif aussi !
- Tu veux du jus d'orange ?
- De l'eau c'est mieux ! Une grande bouteille d'eau !
Je l'ai abandonné le temps de filer chercher une bouteille
d'eau minérale dans l'arrière-cuisine. Quand
je suis revenu, il me tournait le dos. Il s'était collé
à la fenêtre du salon, dans la lumière
du soleil. Lorsqu' il s'est retourné, j'ai vu les feuilles
dans sa chevelure ! Il y en avait trois, toutes petites, dentées
comme celles des érables. Je ne crois
pas qu'il se soit rendu compte de cette nouvelle transformation.
Il a refusé le verre que je lui ai servi et de son
bras couleur émeraude a attrapé la bouteille
pour la vider en quelques secondes.
Une autre, s'il te plaît ! Lionel a absorbé la
réserve d'eau minérale (huit litres !). A présent,
les feuilles recouvraient complètement ses cheveux.
Derrière sa nuque une petite branche venait de prendre
son envol et grimpait dix centimètres au- dessus de
sa tête.
- Tu sais, il faut vraiment que j'appelle l'hôpital
! ai-je fait.
- Entendu, je vais me remettre au soleil, ça me fait
du bien !
J'ai foncé dans la chambre de maman pour dénicher
le numéro des Urgences dans l'annuaire. Dix fois j'ai
refait ce numéro, dix fois un disque m'a averti que,
toutes les lignes étant occupées, il me fallait
patienter. Je nageais en plein cauchemar.
J'ai fini par décider que nous irions plus vite en
nous rendant directement à l'hôpital, par nos
propres moyens.
En entrant dans le salon, je n'ai pas pu retenir un cri. Ce
n'était pas d'un hôpital dont Lionel avait besoin...
plutôt du service des espaces verts de la ville ! Face
à la baie vitrée du balcon, il y avait un arbre
bardé d'une douzaine de branches qui partaient dans
tous les sens. Un arbre qui s'est retourné vers moi
et qui pleurait lorsqu'il m'a demandé :
- Tu les as eus ?
- Euh, ils n'ont pas voulu me croire... on va y aller ! ai-je
menti.
C'est là que j'ai vu ses racines. Elles sortaient de
ses chaussettes et sillonnaient à même le plancher.
Elles avaient creusé deux gros trous dans le précieux
tapis chinois de ma mère.
Mais ce n'était vraiment pas ça notre plus gros
problème...
Chapitre 4 : Convoi exceptionnel
Transporter un pot de fleurs sur un porte-bagages, c'est assez
périlleux...
Pédaler en traînant le poids de quelqu'un à
l'arrière, c'est vite épuisant... Alors trimbaler
sur son vélo un Lionel en pleine métamorphose
végétale, quelle prouesse !
Je l'avais sanglé comme j'avais pu avec un tas de tendeurs
Ses racines ne cessaient de s'allonger et il me fallait les
replier délicatement pour qu'elles ne se prennent pas
dans les rayons ou dans la chaîne.
- Arrête. Sam tu me chatouilles ! Pas comme ça,
tu vas abîmer mes radicules ! criait Lionel.
Heureusement, malgré sa transformation son corps avait
gardé assez de souplesse.
- Tu sais quoi, Sam ? a-t-il dit on accrochant ses bras et
ses mains (enfin ses branches) autour de ma taille.
- T'as la trouille, oui je comprends !
- Bien sûr que j'ai peur, en tant que garçon...
Par contre, en tant qu'arbre, je ne me suis jamais senti aussi
grand et fort.
J'avoue avoir mis un moment avant de réagir. En nous
élançant dans la rue. J'ai juste dit :
- Tant mieux si t'as le moral et si tu te sens fort, n'empêche
que c'est quand même moi qui pédale !
Et nous avons roulé vers l'hôpital, malgré
son feuillage qui venait se fourrer dans mon cou et me cacher
la visibilité. Mon vélo ressemblait à
un char de carnaval. Sur notre passage, les promeneurs se
demandaient s'ils n'avaient pas la berlue. J'avançais
tant bien que mal.
Pour arriver là-bas, il fallait traverser la Saponne.
à l'approche de ses rives, ça descendait sec,
mais après le pont, la côte remontait raide.
- Super ce petit vent frais, je le sens dans toutes les nervures
de mes feuilles ! a crié Lionel alors que nous prenions
de la vitesse dans la descente.
- Profites-en ! Après la Saponne, ça va être
une autre paire de manches. Accroche-toi, je prends de l'élan
!
- Non, Sam, il faut que j'aille plonger mes racines dans le
courant ! Je manque encore d'eau ! Arrêtons-nous un
peu !
De toute façon, je n'avais plus de force.
J'ai détaché Lionel et l'ai guidé vers
la berge. Son état empirait. Son tronc était
plus sombre et plus épais, son feuillage plus fourni,
et seul le haut de son visage émergeait d'entre ses
deux branches principales. Étonnamment, il semblait
serein. Il a laissé courir ses racines dans l'eau et
a poussé un profond soupir de soulagement :
- Génial, j'avais une de ces soifs !
- Ne bois pas toute la Saponne, tu vas être super lourd
après...
- Tu sais, j'espère qu'ils pourront faire quelque chose,
aux Urgences. Mais, j'avoue que c'est drôlement agréable
d'être un arbre. Tu vois, là,
je sens qu'il va pleuvoir !
- Ça m'étonnerait, il n'y a pas un seul nu age
dans le ciel ! Ce qui va nous pleuvoir dessus c'est un sacré
savon !
- Pour le tapis de ta mère ou pour les graines quand
ton oncle va les trouver dans ton salon ?
- Bon sang, on a oublié de les remettre au frigo !
J'ai pensé à ma mère. J'allais la trouver
morte d'une crise cardiaque au milieu d'un salon transformé
en forêt amazonienne.
- Lionel, il faut absolument que j'aille les ranger, s'il
n'est pas déjà trop tard ! Je fonce et je reviens
!
- Pas de problème, je suis très bien ici ! Ça
donne presque envie de prendre racine...
J'ai enfourché mon vélo j'ai vu un rouge-gorge
se poser sur sa branche droite. J'ai foncé tant que
j'ai pu en remontant jusqu'à chez moi.
J'ai battu mon record personnel.
Chapitre 5 : Toujours là
- Cest pas possible ! C'est pas croyable !
Les yeux plongés sur sa boîte de Galéaparsos,
ouverte, oncle Julius était là, agenouillé
sur le tapis du salon. Du salon, pas de la jungle ! Aucune
trace de végétation à l'horizon, juste
mon oncle qui n'arrêtait pas de répéter
:
- C'est incroyable ! C'est complètement incroyable
!
- Tonton, je suis désolé. Je vais t'expliquer...
Il s'est retourné brusquement. Il avait des larmes
plein les yeux.
- C'est une erreur... j'étais avec mon copain Lionel
et...
- Est-ce que tu te rends compte ? a-t-il coupé sèchement.
- Je sais, c'est une catastrophe. En plus, j'ai laissé
Lionel planté là-bas au bord de la Saponne.
- Une catastrophe ?! Regarde, les Galéaparsos ont commencé
à germer toutes seules !
Dans la boîte, chaque graine s'était fendue pour
laisser émerger une petite pousse verte qui dessinait
une sorte de virgule de deux centimètres. J'ai vu aussi
le verre de jus d'orange de Lionel renversé sur les
graines.
- Je sais, c'est très grave... ai-je dit.
- Grave ? Tu plaisantes, c'est fantastique ! Elles ont germé
toutes seules ! Un résultat si rapide est prodigieux
!
- Le jus d'orange... peut-être ? ai-je murmuré
sans conviction.
Je n'y comprenais plus rien. Je croyais Julius effondré,
voilà qu'il sautait de joie.
- Les Galéaparsos sont en voie de disparition. On ne
trouve plus qu'une dizaine d'arbres de cette variété
sur la Terre. Tu imagines ces petites pousses sont notre fortune,
Samuel !
- Ben tu vois, tonton, un Galéaparso, je peux t'en
montrer un de très belle taille ! Pour ça, on
n'a pas besoin d'attendre des années ou de traverser
l'Atlantique... c'est à cinq minutes, sur l'autre rive
de la Saponne.
Dans la voiture, je lui ai raconté la suite.
L'arbre était là où je l'avais laissé...
mais pas Lionel ! Le rouge-gorge avait été rejoint
par d'autres copains dans le Galéaparso qui semblait
avoir stoppé sa croissance.
- Génial ! n'arrêtait pas de hurler mon oncle.
- Lionel ! Lionel ! j'ai appelé en vain.
Lionel en arbre, c'était fou
mais l'arbre sans
mon ami cela me terrorisait complètement. J'ai appelé
encore en pensant que ce tronc, ces deux branches maîtresses
et cette multitude d'autres avaient dévoré mon
camarade.
- Il est mort ! me suis-je mis à sangloter.
- Pas du tout, il est en parfaite santé, je n'en ai
jamais vu d'aussi beau ! a fait Julius en caressant l'écorce.
- Je parle de Lionel ! De rage, j'ai attrapé des pierres
que j'ai balancées violemment contre le tronc. J'en
voulais tant à ce maudit Galéaparso.
- Arrête... malheureux ! a crié Julius.
- Aïe, ça fait mal ! (C'est l'arbre qui a gémi.)
Sam, plutôt que de me balancer des cailloux trouve un
moyen de me sortir de là !
- Lionel !?
Julius et moi sommes restés bouche bée.
- Je ne sais pas comment cela a pu se produire, mais l'arbre
s'est détaché de moi. Il est creux à
lintérieur et maintenant je suis enfermé
dedans. Je commence à étouffer !
- Il faut l'ouvrir ! ai-je crié à Julius.
- Tu es fou
c'est larbre le plus rare du monde
!
- Un ami est plus rare qu'une forêt entière de
Galéaparsos !
J'ai foncé vers la voiture. Dans le coffre, j'ai attrapé
la boîte à outils de maman et avec un gros tournevis,
j'ai commencé à creuser une large entaille verticale
dans l'écorce du tronc.
- Doucement, ça chatouille ! faisait Lionel.
Ce n'est que lorsque la bouche de Lionel est apparue dans
l'ouverture que Julius s'est enfin décidé à
m'aider.
Après une demi-heure d'efforts, le passage a été
assez large pour que Lionel se faufile tout nu hors de son
enveloppe végétale. Il avait laissé son
slip et ses chaussettes au Galéaparso.
Enfin je le retrouvais. J'avais 1' impression qu'il revenait
d'un lointain, très lointain voyage. Il s'est retourné
vers le tronc et a lentement caressé l'écorce,
à l'endroit où nous l'avions déchirée.
- T'inquiète pas, ça cicatrisera ! T'es un costaud
! Et puis, Sam et moi on prendra soin de toi !
- Tu peux nous faire confiance ! me suis-je entendu répondre
à l'arbre.
- Tiens, tu vois il commence à pleuvoir ! m'a dit Lionel
en se tournant vers Julius et moi, comme s'il venait de découvrir
notre présence.
Effectivement, l'orage a éclaté aussitôt.
Après avoir vendu ses graines mon oncle avait l'air
satisfait. En repartant, il a promis de s'arrêter en
Syrie pour rapporter à ma mère un nouveau tapis
encore plus beau.
Ici, le Galéaparso pousse tranquillement sur les bords
de la Saponne.
Lionel et moi allons très souvent jouer sous son ample
feuillage. Grâce à lui notre ville est devenue
célèbre. Des savants du monde entier viennent
pour l'étudier sous tous les angles et des touristes
pour se faire photographier contre son tronc.
L'entaille s'est maintenant refermée mais Lionel sait
encore m'indiquer l'endroit exact où elle se trouvait.
Parfois il se tait, fixe le Galéaparso, alors je les
laisse ensemble. Ils sont complices et « parlent »
de choses que j'ignore. De son aventure, Lionel a gardé
une étrange tache verte sur la paume de sa main droite.
Aucun brossage, aucun savonnage ne réussit à
faire disparaître cette marque en forme de feuille de
Galéaparso.
- J'y tiens beaucoup ! dit-il
souvent en me la montrant.
Je le comprends.
Et lorsqu'il me déclare :
« Si on rentrait, le temps va
se couvrir ! » je le crois,
sans même regarder le ciel.