Extraits
scène 3
Crépuscule
sur l'île Blupblup. En technicolor, un soleil couchant,
comme sur les cartes postales. On s'y croirait. Kadouma et
Mamie Ouate sont de retour, bredouilles comme toujours, mais
on ne les voit pas, on les entend, c'est tout.
[
... ]
Mamie
Ouate : ...Alors Kadouma, tu ne trouves pas ? C'est pourtant
simple : " Les imbéciles prétendent qu'elle
est froide mais elle brûle des doigts et sert de couverture
aux prairies et aux vallées. "
Kadouma
: Aux villes aussi ?
Mamie
Ouate : Oui, mais elle est sale et elle encombre les trottoirs,
alors dans les villes on ne l'aime pas et ce sont tes frères
papôasiens ou leurs cousins africains qui la ramassent
à la pelle.
Kadouma
: la poubelle ?
Mamie
Ouate : La neige, mon beau, la neige ! Evidemment tu ne pouvais
pas trouver vu qu'ici elle n'est jamais tombée.
[
... ]
Mamie
Ouate : Je t'ai menti. Les libellules n'intéressent
plus personne à Paris, sauf le Muséum, et encore
!
Kadouma
: Tu m'as menti...toi mentir...une vieille femme comme toi,
ça ment ?
Mamie
Ouate : Oui mon grand, et tu peux me regarder, je ne rougis
pas, figure-toi.
Kadouma
: Alors, si je comprends bien, tu n'es pas célèbre
là-bas ?
Mamie
Ouate : Si, mais pas pour ce que tu crois. Je suis photographe,
voilà, tu sais tout.
Kadouma
: Tu n'es pas venue ici pour chasser Virginia ?
Mamie
Ouate : Comment oses-tu dire cela ? Bien-sûr que oui.
Mais quand j'ai su qu'elle était sur ton île,
j'étais désespérée, je n'avais
pas assez d'argent pour atterir là, alors j'ai proposé
à une agence de voyages un reportage sur les Noirs
de Papoâsie, et ils m'ont dit oui. C'est le contrat.
Kadouma
: A eux aussi tu as menti. Décidément, tu mens
à tout le monde, c'est du joli. Et ça ne te
dérange pas ?
Mamie
Ouate : Du tout. Je mens souvent. Presque tout le temps. Surtout
si je n'ai pas le choix. Tu devrais apprendre à en
faire autant, crois-moi !
Kadouma
: Oh, c'est beaucoup trop compliqué, ce que tu me dis
là, mais ce qui ne l'est pas, c'est que si tu ne leur
envoies pas les photos que tu leur dois, alors ton petit estomac
va crier famine, Mamie, et le mien aussi. Donc, plus de temps
à perdre, on divise le travail, à toi les photos
et à moi Virginia !
Mamie
Ouate : Et photographier quoi ? Va leur expliquer que tu es
le rescapé de la tribu des hommes disparus, que sur
l'île de Blupblup il ne reste plus que Kadouma, et que
les autres se sont envolés, sur les mers ou dans les
airs, je ne sais pas, ce que je sais c'est qu'ils ne sont
plus là.
Kadouma
: Et bien, envoie-leur ma photo, ça suffira !
Mamie
Ouate : Oh là là ! Surtout pas ! Tu ne les intéresses
pas. Ce qu'ils veulent pour leurs clients, c'est des Noirs
comme avant.
Kadouma
: Comme dans le temps des " Missié blanc, Missié
il est content ? "
Mamie
Ouate : Oui, tu ne le crois pas, et pourtant il les aiment
bien comme ça chez moi.
Kadouma
: Ecoute, si ça peut leur faire plaisir, je vais dire
" oui bwana " pendant que tu me photographieras.
Mamie
Ouate : Ils ne le verront pas !
Kadouma
: Et alors on fait quoi ?
Mamie
Ouate : On meurt de faim, voilà !