Extrait de Maman Dlo

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Il est déjà midi.
La tôle est brûlante, mais peu importe, Cécette attend. Elle attend sa mère. Soudain l’horizon semble
bouger en un point minuscule. Cécette se lève. Son coeur bat très fort. Le point se rapproche lentement,
dans une traînée d’écume blanche.
-Tchip ! fait Cécette déçue. C’est seulement Firmin. Il rentre de la pêche.
Bientôt, il arrivera sur la plage de Folle Anse. Comme des yinyins, des moucherons s’agglutineront
autour du canot pour avoir un kilo de poissons-chats, ou de poissons-perroquets. L’horizon reste
désespérément vide. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’elle viendra….
Une voix retentit :
-Cécette !
Cecette essaie de descendre discrètement du toit, mais Man Ninie est déjà là , immobile comme un
zandoli.
-Tonnerre ! gronde Man Ninie. Cécette combien de fois t’ai-je dit que les filles ne doivent pas grimper
aux arbres ? S’il t’arrivait malheur, que dirais-je aux gendarmes, et à ta mère ?
Cécette incline la tête sous cette pluie de paroles. Elle ne veut plus pousser l’insolence jusqu’à regarder
une grande personne dans le blanc des yeux.
Man Ninie soupire bruyamment telle une tortue-karèt.
-Va me chercher ton grand-père ! Celui-là, c’est à la mer qu’il aurait dû passer la bague au doigt, puisqu’il
l’aime tant !
A l’ombre d’un amandier, Papoli raccommode son filet.
-Man Ninie te fait dire de venir ! dit Cécette.
-Anhan !marmonne Papoli sans relever la tête .
La mer, calme, fait entendre son doux clapotis de coquillages et de galets qui s’entrechoquent.
Cécette a soudain une idée.
Elle va envoyer un dessin à sa mère. Oui, un dessin pour qu’elle revienne plus vite. Un dessin avec, tout
autour, des petits coquillages collés et du sable aussi. Du sable qu’ele ira chercher à l’Anse-Bois-d’Inde.
Là-bas, la mer est agitée et il n’y a jamais personne pour fouler le sable. Il est bien plus beau.
Cécette ne parlera pas de cela à Man Ninie, parce qu’elle lui interdirait d’y aller. Elle attendra un jour où
sa grand-mère ne sera pas là.
-Ce ne sera pas cette après-midi. Je dois aider grand-père se souvient Cécette.
Man Ninie et Cécette passent l’après-midi à tapisser la maison, avec des photos découpées dans un
catalogue de mode.
Elles terminent tard. Mais Man Ninie est contente de voir la maison aussi belle. Elle offre trois grosses
sapotilles à Cécette qui ouvre de grands yeux faussement surpris. Depuis déjà plusieurs jours, elle sentait
l’odeur sucrée dans la maison et cherchait, sans succès, la cachette de Man Ninie.
-Cécette saurais-tu lire cette lettre ? demande Man Ninie en soulevant un coin du napperon rose de la
desserte.
Mais Ninie et Papoli ne savent ni lire ni écrire ; très jeunes, ils ont dû travailler pour aider leurs parents.
-C’est une lettre de la poste pour toucher ta retraite, déclare Cécette.
-Merci, dit Man Ninie, demain j’irai en ville.
Man Ninie est partie pour toute la journée !
Cécette flâne le long de la plage puis traverse une partie de la mangrove, pour aller à l’Anse-Bois-d’Inde.
Là, elle ramasse des coquillages, et aussi du sable rosé.
A midi, elle revient affamée.
Avec Papoli, elle mange le court-bouillon de poisson-soleil que Man Ninie a préparé avant de partir.
Papoli a mis trop de piment sur son poisson. Il sue à grosses gouttes. Pendant qu’il s ‘évente sous la
véranda, Cécette prend une feuille à dessin et des crayons de couleur.
Elle réfléchit longuement.
IEN Le Mans 4 2
C’est difficile de faire un dessin pour quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis longtemps.
Elle dessine une tourterelle dans le ciel, puis l’efface. Elle ne garde que le ciel parce qu’elle ne sait pas
dessiner les tourterelles. De toutes façons, c’est d’un ciel bleu dont sa mère a besoin. Là-bas, c’est gris
tout le temps. Cécette dessine aussi une case en planches, recouverte de tôles ondulées ; sa maman pourra
ainsi s’endormir en écoutant chanter la pluie sur le toit. Derrière, elle peint un arbre, un mapou, aux
feuilles bien solides. Là-bas, les arbres perdent leurs feuilles. Drôle de manie ! Elle n’oublie pas de mettre
un gros soleil bien jaune, parce que là-bas, dit-on, il fait très froid. Cécette imagine des gens marchant
dans un réfrigérateur.
Autour du paysage, elle colle des coquillages, des conques de Barthélémy, des nérites zébrées, des
coquilles papillons nacrées aux motifs de madras….Elle colle aussi du sable parce que la mer en a besoin
pour ne pas déborder partout.
Au soir , Man Ninie est rentrée le coeur lourd.
Elle a dû payer deux personnes pour signer à sa place, sinon elle n’aurait pas pu avoir son mandat.
Cécette est peinée de voir Man Ninie si triste. Sur un vieux cahier d’écriture, elle trace les traces les
lettres de l’alphabet. Elle prend la main de Man Ninie dans la sienne, imitant la maîtresse qui lui appris à
écrire. La main de Man Ninie tremble un peu, elle n’écrit pas droit. Elle s’esclaffe. Elle trouve que son
écriture ressemble à un caca-boeuf ! Finalement, Man Ninie s’arrête parce qu’elle a mal aux yeux. Le
lendemain, quand, pour la première fois, elle trace une jolie lettre, elle reste pétrifiée, comme si elle
venait de découvrir le sentier d’un trésor merveilleux.
C’est à ce moment-là qu’arrive Jojo le facteur. Cécette lui donne sa lettre. C’est lui qui l’expédiera en
ville.
De sa sacoche, Jojo sort une enveloppe dont Cécette reconnaît tout de suite l’écriture.

 

Le 14 avril 1967
Chère Cécette,
Je t’écris pour te faire savoir
de mes nouvelles qui sont bonnes
pour l’instant. Je viens de trouver
du travail. Je ne pourrai pas venir
cette année.
Embrasse tout le monde
de ma part. Je t’embrasse.
A bientôt.
Ta maman qui t’aime.