Ce
disant, il s'avançait vers la table, lorsque tout à
coup il remarqua quelque chose d'étrange. Il n'était
pas possible que la maison se fût agrandie. Mais comment
expliquer autrement qu'il eût à faire un si grand
nombre de pas pour atteindre la table ? Et qu'avait donc la
chaise ? Elle ne semblait pas être devenue plus grande
; pourtant il dut se hisser d'abord jusqu'au barreau inférieur
et de là grimper sur le siège. De même
pour la table, il ne put en voir le dessus qu'en escaladant
le bras du fauteuil.
" Qu'est-ce que cela signifie ? se dit-il. Je crois que
le tomte a enchanté le fauteuil et la table et toute
la maison. "
Le sermonnaire était toujours ouvert sur la table et
ne paraissait pas changé ; pourtant il vit bien qu'il
y avait là encore quelque chose de bizarre, car il
ne put lire un seul mot sans se placer debout sur le livre
même.
Il lut quelques lignes, puis leva la tête. Ses yeux
tombèrent de nouveau sur la glace, et il s'écria
tout haut : " Tiens, en voilà encore un ! "
Dans le miroir, il voyait nettement un petit, tout petit homme
en bonnet pointu et en culottes de peau.
- Celui-là est habillé exactement comme moi,
s'écria-t-il en joignant les mains de surprise. Alors
le petit bonhomme de la glace fit le même geste.
Le gamin se mit à se tirer les cheveux, à se
pincer, à pirouetter sur lui-même ; aussitôt
l'homme de la glace imitait ses mouvements.
Rapidement, il fit le tour de la glace pour voir s'il y avait
quelqu'un caché là derrière. Mais il
n'y avait personne. Il se prit alors à trembler, car
il comprenait tout à coup que le tomte l'avait ensorcelé,
et que l'image reflétée par la glace était
son image à lui. ....
Le
gamin entendait tout du mur où il s'était caché.
" Quel dommage si le grand jars allait s'envoler ! Père
et mère en auraient du chagrin s'il était parti
lorsqu'ils reviendront du temple. "
Il en oublia une fois encore qu'il était petit est
sans force. Il sauta au milieu des oies, et jeta ses bras
autour du cou du jars. " Tu resteras ici, tu entends
", cria-t-il.
Mais juste à ce moment, le jars avait compris ce qu'il
fallait faire pour s'élever du sol. Il ne put s'arrêter
pour secouer le gamin, et celui-ci fut emporté dans
l'air.
Il fut enlevé avec une rapidité qui lui donna
le vertige. Avant d'avoir pensé à lâcher
prise, il se trouva si haut qu'il se serait tué s'il
était tombé à terre.
Il n'avait plus qu'à essayer de se hisser sur le dos
de l'oie. Il y parvint, mais avec beaucoup de peine. Il n'était
pas facile non plus de se maintenir sur le dos lisse et glissant,
entre les deux ailes battantes. Il dut plonger ses deux mains
dans les plumes et le duvet pour ne pas être précipité.
Un long moment, le gamin eut des vertiges qui l'empêchèrent
de se rendre compte de rien. L'air sifflait et le fouettait,
les ailes frappaient, les plumes vibraient avec un bruit de
tempête. Treize oies volaient autour de lui. Toutes
caquetaient et battaient des ailes. Les yeux éblouis,
les oreilles assourdies, il ne savait si elles volaient haut
ou bas niquel était le but du voyage.
Enfin il se ressaisit, et comprit qu'il devait tâcher
de savoir où on le conduisait. Mais comment aurait-il
le courage de regarder en bas ?
Les oies sauvages ne volaient pas très haut, car leur
nouveau compagnon de voyage n'aurait pu respirer un air trop
léger. A cause de lui elles volaient aussi moins vite
qu'à l'ordinaire.
Enfin le gamin eut l'audace de jeter un regard au-dessous
de lui. Il fut surpris de voir étendue là-bas
comme une grande nappe, divisée en une infinité
de grands et de petits carreaux....
Il
était furieux d'être trahi par ses forces et
de ne pouvoir montrer à ces vagabondes qu'une oie domestique
les valait bien. Le plus agaçant, c'est qu'il était
tombé sur Akka de Kebnekaïse. Il avait beau n'être
qu'un oiseau de basse-cour, il n'en avait pas moins entendu
parler d'une oie chef de bande qui s'appelait Akka et qui
avait plus de cent ans. Elle avait une telle réputation
que les meilleures oies sauvages voulaient faire partie de
sa troupe. Mais personne n'avait plus de mépris pour
les oies domestiques que cette Akka et sa bande ; aussi aurait-il
bien voulu leur montrer qu'il était leur égal.
Tout en réfléchissant à la décision
à prendre, le jars blanc volait lentement un peu en
arrière des autres. Tout à coup, le petit bout
d'homme qu'il portait sur son dos éleva la voix : "
Mon cher jars Martin, tu comprends bien qu'il te sera impossible,
à toi qui n'as jamais volé, de suivre les oies
sauvages jusqu'en Laponie. Ne ferais-tu pas mieux de retourner
à la maison avant de te faire du mal ? "
Or, le fils de la maison, ce mauvais garnement, le jars l'avait
en horreur. Aussi, dès qu'il eut compris que le gamin
le croyait incapable de faire le voyage, résolut-il
de tenir bon. " Si tu dis un mot de plus, je te jette
dans la première marnière que nous rencontrerons
", siffla-t-il. Et la colère lui donna de telles
forces qu'il se mit à voler aussi bien que les autres....