n'en pas douter, le prince de Motordu menait la belle vie.
Il habitait un chapeau magnifique au-dessus duquel, le dimanche,
flottaient les crapauds bleu blanc rouge qu'on pouvait voir
de loin.
Le prince de Motordu ne s'ennuyait jamais. Lorsque venait
l'hiver, il faisait d'extraordinaires batailles de poules
de neige. Et le soir, il restait bien au chaud à jouer
aux tartes avec ses coussins
dans la grande salle à
danger du chapeau.
Le prince vivait à la campagne. Un jour, on le voyait
mener paître son troupeau de boutons. Le lendemain,
on pouvait l'admirer filant comme le vent sur son râteau
à voiles.
Et quand le dimanche arrivait, il invitait ses amis à
déjeuner. Le menu était copieux
Menu du jour
Boulet rôti
Purée de petit bois
Pattes fraîches à volonté
Suisses de Grenouilles
Au dessert
Braises du jardin
Confiture de murs de la maison.
Un jour, le père du prince de Motordu, qui habitait
le chapeau voisin, dit à son fils :
- Mon fils, il est grand temps de te marier.
- Me marier ? Et pourquoi donc, répondit le prince,
je suis très bien tout seul
dans mon chapeau.
Sa mère essaya de le convaincre :
- Si tu venais à tomber salade, lui dit-elle, qui donc
te repasserait ton singe ? Sans compter qu'une épouse
pourrait te raconter de belles lisses poires avant de t'endormir.
Le prince se montra sensible à ces arguments et prit
la ferme résolution de se marier bientôt. Il
ferma donc son chapeau à clé, rentra son troupeau
de boutons dans les tables, puis monta dans sa toiture de
course pour se mettre en quête d'une fiancée.
Hélas, en cours de route, un pneu de sa toiture creva.
- Quelle tuile ! ronchonna le prince, heureusement que j'ai
pensé à emporter ma boue de secours. Au même
moment, il aperçut une jeune flamme qui avait l'air
de cueillir des braises des bois.
- Bonjour, dit le prince en s'approchant d'elle, je suis le
prince de Motordu.
- Et moi, je suis la princesse Dézécolle et
je suis institutrice dans une école publique, gratuite
et obligatoire, répondit l'autre.
- Fort bien, dit le prince, et que diriez-vous d'une promenade
dans ce petit pois qu'on voit là-bas ?
- Un petit pois ? s'étonna la princesse, mais on ne
se promène pas dans un petit pois ! C'est un petit
bois qu'on voit là-bas.
- Un petit bois ? Pas du tout, répondit le prince,
les petits bois, on les mange. J'en suis d'ailleurs friand
et il m'arrive d'en manger tant que j'en tombe salade. J'attrape
alors de vilains moutons qui me démangent toute la
nuit
- À mon avis, vous souffrez de mots de tête,
s'exclama la princesse Dézécolle et je vais
vous soigner dans mon école publique, gratuite et obligatoire.
Il n'y avait pas beaucoup d'élèves dans l'école
de la princesse et on n'eut aucun mal à trouver une
table libre pour le prince de Motordu, le nouveau de la classe.
Mais, dès qu'il commença à répondre
aux questions qu'on lui posait, le prince déclencha
l'hilarité parmi ses nouveaux camarades. Ils n' avaient
jamais entendu quelqu'un parler ainsi !
Quant à son cahier, il était, à chaque
ligne, plein de taches et de ratures : on eût dit un
véritable torchon .
Calcul.
quatre et quatre : huître,
quatre et cinq : boeuf,
cinq et six :bronze,
Six et six : bouse.
Que fabrique un frigo ?
Un frigo fabrique des petits garçons qu'on met dans
l'eau pour la rafraîchir.
Histoire.
Napoléon déclara la guerre aux puces il envahit
la Lucie mais les puces mirent le feu à Moscou et l'empereur
fut chassé par les vers très froids qu'il faisait
cette année là, glaglagla
Je n'ai pas tout compris. Bonne écriture D
Mais la princesse Dézécolle n'abandonna pas
pour autant. Patiemment, chaque jour, elle essaya de lui apprendre
à parler comme tout le monde.
- On ne dit pas j'habite un papillon, mais j'habite un pavillon.
Peu à peu, le prince de Motordu, grâce aux efforts
constants de son institutrice, commença à faire
des progrès. Au bout de quelques semaines, il parvint
à parler normalement, mais ses camarades le trouvaient
beaucoup moins drôle depuis qu'il ne tordait plus les
mots.
A la fin de l'année, cependant, il obtint le prix de
camaraderie car, comme il était riche, il achetait
chaque jour des kilos de bonbons qu'il distribuait sans compter.
Lorsqu'il revint chez lui, après avoir passé
une année en classe, le prince de Motordu avait complètement
oublié de se marier.
Mais quelques jours plus tard, il reçut une lettre
qui lui rafraîchit la mémoire.
Mardi 6
Cher Motordu
A présent que vous ne souffrez plus de mots de tête,
j'aimerais savoir si vous aimeriez bien vous marier avec moi
!
Princesse Dézécolle
Ps : vous avez oublié de me rendre votre livre de géographie.
Merci.
Il s'empressa d'y répondre, le jour même.
J'ai fini de lire le livre, il est très bien et
j'accepte de me marier avec vous et avec joie.
Amitiés. Stop.
Signé Motordu.
Et c'est ainsi que le prince de Motordu épousa la princesse
Dézécolle. Le mariage eut lieu à l'école
même et tous les élèves furent invités.
Un soir, la princesse dit à son mari :
- Je voudrais des enfants.
- Combien ? demanda le prince qui était en train de
passer l'aspirateur.
- Beaucoup, répondit la princesse, plein de petits
glaçons et de petites billes.
Le prince la regarda avec étonnement, puis il éclata
de rire.
- Décidément, dit-il, vous êtes vraiment
la femme qu'il me fallait, madame de Motordu. Soit, nous aurons
des enfants et en attendant qu'ils soient là, commençons,
dès maintenant, à leur tricoter des bulles et
des josettes pour l'hiver...
Le petit Motordu
Pef , Folio benjamin.
En ce temps-là, le petit Motordu n'était pas
encore le célèbre prince de Motordu qu'il allait
devenir. Ses parents , la comtesse Carreau -Ligne de Motordu
et son mari, le duc S.Thomas de Motordu l'aimaient bien sûr
de tout leur cur. . Dès que l'enfant fut en âge
de marcher, on espéra qu'il allait rapidement nommer
tout ce qui l'entourait. Mais le petit Motordu ouvrait sur
le monde de grands yeux étonnés et demeurait
silencieux.
Un jour comme son père lui tendait les bras, le jeune
prince s'y précipita et l'embrassa jusque dans les
moustaches.
- Papa
!
Le petit prince de Motordu parlait!
Enfin!
Son père fut très ému, évidemment,
mais aussi quelque peu étonné.
- Comment?
- Papa! Répétait le bambin.
- Brave petit! s'exclama le duc de Motordu. Le langage est
une chose toute nouvelle pour toi, il est donc normal que
tu t'y perdes un peu.
Mais dans la famille de Motordu, on parle en mots tordus,
On dit donc " tata" à son père et
non "papa"!
Et celui qui voulait se faire appeler "tata" reposa
son fils par terre.
- Papa! répéta l'enfant pour la troisième
fois.
- On dit" tata" , répliqua aussitôt
le duc, et non pas papa, pas papa!
- Papapapapapa, s'amusa le petit Motordu.
Alors le duc de Motordu, totalement découragé,
s'éloigna la larme à l'il, préférant
s'en aller arroser les fleurs de son jardin.
C'est là que le trouva son épouse Carreau-Ligne,
de retour des commissions.
- Mais mon chéri, vous avez l'alarme à l'il!
Qui vous a volé votre bonne humeur:
- C'est notre fils, soupira le jeune père, il n'a pas
l'air normal.
- Il est salade? s'inquiéta la maman. Lui avez vous
pris sa fève?
Le duc hocha la tête
- Ah c'est la fin des haricots et je
Mais déjà, la mère du petit Motordu était
auprès de son fils qui cherchait son père en
faisant un bruit bizarre avec sa bouche:
- Papa?
Le cur de la comtesse se serra douloureusement mais
elle n'en laissa rien paraître.
- Mon tendre amour regarde ce que je t'ai apporté du
marché.
L'enfant souleva le couvercle de la boîte et en tira
un magnifique
.
- Chapeau! s'exclama-t-il.
- Ah non! rectifia sa mère, je t'ai offert un château.
Ainsi ta tête sera-t-elle à l'abri du méchant
soleil et de la méchante pluie.
- Chapeau! Chapeau! s'obstina l'enfant.
Les parents du petit prince de Motordu attendirent que l'enfant
soit ben endormi pour discuter de ce grave problème.
Le duc se lamentait:
- Notre fils à nous, les Motordu, ne parle pas tordu!
Ce n'est pas, normal, quel malheur!
- La comtesse essaya de le consoler:
- Il va peut-être faire des progrès, et tout
va s'arranger, espérons le!
Mais le duc n'était pas convaincu.
- Tout de même, mettre un chapeau sur sa tête,
c'est grave! Mon fils n'est pas notre fils!
Carreau-Ligne lui tapota la main:
- Allons, votre mauvais sang me fait beaucoup de veine!
Mais le duc , déjà, pensait à l'avenir:
- Ce petit ne prendra aucun plaisir à appendre par
peur la fable du corbeau et du renard!
- Alors que la table du corps gros et de gros lard, quelle
rigolade! pouffa la comtesse.
Le lendemain, les parents emmenèrent le petit prince
en promenade.
- Mon chéri, regarde ces boules dans le pré,
dit maman. Elles sont drôlement polies, elle roulent,
roulent pour que le oeufs de toutes ces boules soient bien
ronds, bien doux, bien polis
- Jolies Poules ! cria l'enfant.
- Polies boules! cria plus fort le père en secouant
la poulette pliante qui transportait son fils.
- Jolies poules!
- Crotte, crotte, colère! hurla le duc.
Le retour à la maison s'effectua rapidement.
- Mais on ne lui a pas encore montré les cheveux, les
bâches et les cafards, protestait la comtesse!
- Les chevaux, les vaches et les canards! corrigeait son fils.
Le duc se désolait encore.
- Si au moins, il disait les meuh-meuh et les coin-coin, il
y aurait un peu d'espoir! Mais c'est à croire que notre
fils ne voit pas les mêmes choses que nous. S'il ne
devient pas rapidement tordu, sa vie sera un enfer.
Alors le lendemain les pauvres parents du petit Motordu enfermèrent
celui-ci dans une chambre qu'il avaient à moitié
remplie de chapeaux de toutes les formes, de toutes les tailles
et de toutes les couleurs.
- Ah, tu veux des chapeaux rugit le père, eh bien,
en voilà. J'espère que tu en auras une indigestion,
mauvais fils!.
Et le duc et la comtesse de Motordu refermèrent la
chambre de leur fils. Puis ils montèrent sur un bateau
à carreaux blancs et noirs et entamèrent une
partie de rames. Mais le cur n'y était pas et
ils retournèrent près de leur jeune enfant,
devant l'entrée de leur chambre.
- Tu peux sortir, annoncèrent-ils enfin, c'est ouvert.
- Non c'est tout bleu, fit une petite voix derrière
la porte.
Les parents sursautèrent. Avaient-ils bien entendu?
- Tu peux répéter? supplia la mère qui
n'en croyait pas ses oreilles. C'est fermé ou c'est
ouvert?
- Non maman, c'est tout bleu.
De bonheur les parents faillirent défoncer le porte.
Dans la chambre, le petit prince de Motordu avait réalisé
un extraordinaire échafaudage de chapeaux. Tendant
le bras en direction de la fragile construction, il la nomma
ainsi:
- Château! Château!
Le duc faillit s'évanouir.
- Mon fils, ma chair , mon sang. Je le savais , tu es tordu,
tu es sauvé!
Depuis ce jour mémorable, le petit Motordu connut une
enfance normale, digne de sa famille. Tout naturellement il
chassait les perles du jardin pour mieux les entendre siffler.
Il menait au pré son petit troupeau de bâches
ou de boutons et fredonnait:
- " Le bon roi Dagobert a pris l'autoroute à l'envers
"
Mais pour fêter l'arrivée de son fils dans le
monde des tordus, sa maman prit soin de confectionner ce fameux
chapeau-château qui ne devait plus jamais quitter la
tête du prince de Motordu!