L'HORLOGER
DE L'AUBE
(Le rideau s'ouvre, montrant le vieil horloger assoupi)
LE
JONGLEUR
Debout l'horloger! (La musique se fait plus insistante) Debout!
Bientôt six heures! Tu te fais vieux, Genia. Une nuit,
tu finiras par oublier de remonter le coq d'or!
(On voit apparaître des réveils, des pendules
et des pendulettes et sur un grand cadran où des aiguilles
tournent et atteignent le 6. Vacarme de sonneries et de coucous.
Genia saute sur ses pieds. Il met ses chaussures et sort lentement
de sa maison. Il tire sur la chaînette qui là-haut
remonte le coq d'or.)
Et voilà. Une fois de plus, tout est prêt. Le
coq d'or peut chanter, la nuit peut s'en aller sur ses pieds
de négresse. Toute la ville va quitter ses rêves
pour enfiler ses gros sabots. (Le jongleur prend le coq entre
ses mains.) Tu dors toi aussi? Tu te fais vieux? Vas-tu oublier
ton cocorico?
(Le coq chante trois fois et à chaque cocorico, le
jour monte plus fort. La ville s'éveille.)
La femme se peigne, l'homme prend sa musette. Les vieux sortent
leurs chaises. Les pauvres pensent aux riches tous les jours.
Les riches pensent aux pauvres le dimanche.
Tout tourne bien, tout tourne mal, mais jamais trop bien,
mais jamais trop bien ni trop mal.
(On voit le tyran crier dans son téléphone.
Genia le vieil horloger se promène tranquillement de
long en large.)
Sacré vieux bonhomme! Une fois lancé, il marche
comme ses montres? Un petit coup d'il dans l'atelier,
un petit coup d'oeil dans la rue, et on allume sa pipe. (Il
imite l'horloger)
" Eh! Bonjour, bonjour Madame Laurence, comment va le
petit? Il vole les cerises? Salut, Pierre-Jean! Ta montre?
Je m'y mets, je m'y mets... Ah, madame Denis, votre horloge
me donne un de ces soucis! Vous me l'avez apporté parce
qu 'elle donnait trois coups à dix heures? Elle va
mieux, mais elle n'est pas guérie. Elle sonne minuit
à onze. "
Ainsi parlait son père et son grand-père et
le grand-père de son grand-père, celui-là
même qui avait fabriqué le coq d'or. (Les aiguilles
du cadran tournent rapidement.)
Un jour, deux jours, trois jours sont passés... Et
rien n'a mal tourné sauf cet homme-là. (Le tyran
vocifère toujours dans son téléphone
des mots qu'on ne comprend pas, puis:)
LE
TYRAN
Il faut mettre de l'ordre!