Extrait du Journal d'un chat assassin

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Journal d'un chat assassin

Chapitre 1 - Lundi
C'est ça, c'est ça. Allez-y, pendez-moi. J'ai tué un oiseau. C'est que je suis
un chat, moi. En fait, c'est mon boulot de rôder dans le jardin à la recherche de ces
petites créatures qui peuvent à peine voleter d'une haie à l'autre. Dites-moi, qu'est-ce
que je suis censé faire quand une petite boule de plumes se jette dans ma gueule ?

Enfin, quand elle se pose entre mes pattes. Elle aurait pu me blesser.
Bon d'accord, je lui ai donné un coup de patte. Est-ce une raison suffisante
pour qu'Ellie se mette à sangloter si fort dans mon poil que j'ai bien failli me noyer ?
Et elle me serrait si fort que j'ai cru étouffer.
- Oh, Tuffy ! dit-elle avec reniflements, yeux rouges et kleenex mouillés. Oh, Tuffy,
comment as-tu pu faire une chose pareille ?
Comment ? Mais enfin, je suis un chat. Comment aurais-je pu me douter
que ça allait faire une histoire pareille ? La mère d'Ellie qui se précipite sur les vieux
journaux. Le père d'Ellie qui va remplir un seau d'eau savonneuse.
Bon, d'accord, je n'aurais peut-être pas dû le traîner dans la maison et
l'abandonner sur le tapis. Et peut-être que les tâches ne vont jamais partir, jamais.
Dans ce cas, pendez-moi.

Chapitre 2 - Mardi
J'ai bien aimé le petit enterrement. Je pense que je n'y étais pas convié,
mais après tout, c'est autant mon jardin que le leur. En fait, j'y passe beaucoup plus
de temps qu'eux. Je suis le seul de la famille qui en fasse un usage convenable.
Ils ne m'en sont pas reconnaissant pour autant. Vous devriez les entendre :
- Ce chat détruit mes plates-bandes. Il ne reste presque plus de pétunias.
- Je viens à peine de planter les lobélies, et le voilà déjà couché dessus pour les
écraser.
- Si seulement il pouvait éviter de faire des trous au beau milieu des anémones.
Des reproches, des reproches, des reproches. Je ne vois pas pourquoi ils se
cassent la tête à garder un chat si c'est pour se plaindre en permanence.
Tous, sauf Ellie. Elle était trop occupée à pleurnicher sur cet oiseau. Elle
l'a mis dans une boîte, enveloppé dans du coton, et puis elle a creusé un petit trou.
Après, on s'est tous mis autour. Ellie a dit quelques mots, pour lui souhaiter bonne
chance au paradis des oiseaux.
- Fiche le camp, m'a dit le père d'Ellie en sifflant entre ses dents.
J'ai trouvé cet homme un peu grossier. J'ai agité ma queue, et je lui ai fait
le clin d'oeil qui tue. Pour qui il se prend, celui-là. Si je veux assister à un petit
enterrement d'oiseau, j'y assiste. Après tout, je connaissais l'oiseau depuis plus
longtemps qu'eux. Je l'ai connu vivant, moi.

Chapitre 3 - Mercredi

Allez-y, donnez-moi une fessée ! J'ai rapporté une souris
morte dans leur merveilleuse maison. Je ne l'ai même pas
tuée. Quand je suis tombé dessus, elle était déjà morte.
Personne n'est en sécurité par ici. Dans la rue, vous avez
de la mort-aux-rats par-dessus les pattes et les voitures
chargent toute la journée dans les deux sens. Et puis je ne
suis pas le seul chat du quartier. Je ne sais pas ce qui lui est
arrivé à cette petite chose. Tout ce que je sais, c'est que je
l'ai trouvée, morte. Morte depuis peu, mais morte. Et sur le
coup, je me suis dit que c'était une bonne idée de la
rapporter à la maison. Ne me demandez pas pourquoi. Un moment de folie. Comment
est-ce que j'aurais pu me douter qu'Ellie allait m'attraper par la peau du cou et
m'infliger un de ses petits sermons ?
- Oh, Tuffy ! C'est la deuxième fois cette semaine. C'est insupportable. Je sais bien
que tu es un chat, que c'est normal de ta part, et tout et tout... Mais, je t'en prie,
fais ça pour moi, arrête.
Elle me regardait droit dans les yeux.
- Dis-moi que tu ne vas plus recommencer, s'il te plaît.
Je lui ai fait mon clin d'oeil. Enfin, j'ai essayé. Mais elle s'en fichait.
- C'est du sérieux, Tuffy, me dit-elle. Je t'aime et je comprends ce que tu ressens.
Mais tu dois arrêter, d'accord ?
Elle me tenait les pattes. Qu'est-ce que je pouvais dire ? J'ai essayé de prendre mon
air le plus désolé et elle a encore une fois éclaté en sanglots. Et on a encore eu droit à
un enterrement.
Cet endroit devient la Maison de la Rigolade. Je vous le dis.

Chapitre 4 - Jeudi
D'accord. Je vais essayer de vous expliquer pour le
lapin. Pour commencer, je pense que personne n'a
apprécié le fait que j'ai réussi à le faire passer par la
chatière. Ca n'a pas été si évident. Je peux vous le dire,
cela m'a pris presque une heure pour faire passer ce
lapin par ce petit trou. Ce lapin était énorme. Il
ressemblait plus à un cochon qu'à un lapin, si vous
voulez mon avis.
Rien de tout cela ne les a intéressés. Ils étaient en train de devenir fous.
- C'est Thumper ! a crié Ellie. Le Thumper d'à côté !
- Pas possible ! a renchéri le père d'Ellie. Maintenant on a un gros problème.
Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire ?
La mère d'Ellie m'a regardé fixement et puis elle a dit :
- Comment un chat peut-il faire une chose pareille ? Enfin, ce n'est pas comme si
c'était un petit oiseau, une souris, ou ce que je sais ! Ce lapin est aussi gros que
Tuffy. Ils pèsent une tonne tous les deux.
Merci, c'est très gentil. Voyez comment ils sont dans ma
famille. Enfin… dans la famille d'Ellie. Mais, vous
comprenez ce que je veux dire.
Et Ellie, bien sûr, au bord de la crise de nerfs. Folle de
rage.
- C'est affreux. Affreux, je ne peux pas croire que Tuffy
ait fait une chose pareille. Thumper habite à côté
depuis des années et des années.

Evidemment, Thumper était un ami. Je le connaissais bien.
Elle s'est tournée vers moi.
- Tuffy ! Ca ne peut plus durer. Ce pauvre, pauvre petit lapin. Regarde-le.
Et Thumper était plutôt en désordre, je le reconnais. Il n'était plus que boue. Boue et
herbe, en fait. Il avait aussi tout un tas de petites brindilles et de trucs plantés dans
son pelage. Et il avait une traînée de gras sur une oreille. Mais personne, après avoir
été traîné à travers un jardin, une haie, un autre jardin et, pour finir, dans une chatière
fraîchement huilée, n'a l'air sur son trente et un.
De toute façon Thumper n'en avait rien à faire de
l'allure qu'il avait. Il était mort.
Et pourtant, c'est bien ce qui tracassait les autres. Ça
les tracassait même beaucoup.
- Qu'est-ce qu'on va faire ?
- C'est épouvantable, les voisins ne nous
adresseront plus jamais la parole.
- Il faut qu'on trouve quelque chose.
Et ils ont trouvé. Je dois dire que leur plan était parfait, à tous points de vue. D'abord,
le père d'Ellie a repris le seau, qu'il a rempli d'eau chaude savonneuse. Il m'a lancé

un de ces petits coups d'oeil, pour que je me sente coupable de le faire plonger les
mains dans le savon deux fois dans la même semaine. Je me suis contenté de le
gratifier de mon regard " je-ne-suis-pas-du-tout-impressionné ".
Ensuite, la mère d'Ellie a immergé Thumper dans le seau, lui a donné un bon bain et
l'a rincé. L'eau avait une couleur marron, plutôt déplaisante. Pas étonnant avec toute
cette boue. Puis, l'air furieux, comme si tout était ma faute, ils l'ont installé dans
l'évier et ont recommencé à le couvrir d'eau savonneuse.
Ellie pleurnichait toujours, bien sûr.
- Arrête un peu, Ellie, lui a dit sa mère. Ca commence à me taper sur les nerfs. Va
plutôt chercher le sèche-cheveux, si tu veux te rendre utile.
Alors, Ellie s'est traînée jusqu'à l'étage, tout en continuant à brailler. J'ai pris
position sur le buffet pour les regarder.
Quand ils en ont eu fini avec le pauvre Thumper, ils l'ont remis à faire trempette dans
le seau.
Encore heureux, il n'était plus vraiment lui. Il aurait détesté toute cette toilette.
Et quand enfin, l'eau est restée claire, ils l'ont sorti et égoutté.
Ensuite, ils l'ont laissé tomber sur un journal et confié le sèche-cheveux à Ellie.
- A toi maintenant. Fais-lui un beau brusching.
C'est ce qu'elle a fait, croyez-moi. Ellie pourrait
devenir un as de la coiffure, à voir son brusching. Je
dois reconnaître que jamais Thumper n'avait été
aussi beau. Et pourtant, il habitait le clapier d'à côté
depuis des années et je le voyais tous les jours.

- Salut Thump.
Je lui faisais toujours un signe de tête quand je flânais sur la pelouse pour aller
vérifier les bols de nourriture, plus bas dans la rue.
- Salut, Tuff, me répliquait-il en fronçant le nez.
Oui, nous étions de bons camarades. Nous étions copains. Et c'est pour ça que j'ai été
ravi de le voir si bien pomponné et élégant quand Ellie en a eu fini avec lui.
Il était superbe.
- Et maintenant ? a demandé le père d'Ellie.
Alors là, la mère d'Ellie lui a lancé un de ces regards - le genre de regard auquel j'ai
souvent droit, mais en un peu plus gentil.
- Ah non ! a-t-il supplié. Pas moi. Non, non, non.
- C'est toi ou moi. Et je me vois mal y aller, non ?
- Pourquoi pas ? Tu es plus mince que moi. Tu pourras plus facilement te glisser à
travers la haie.
C'est là que j'ai compris ce qu'ils avaient en tête. Mais qu'est-ce que je pouvais bien
dire ? Comment les empêcher ? Leur expliquer ?
Je ne pouvais rien faire. Je ne suis qu'un chat.
Et donc je regardais.

Chapitre 5 - Vendredi
J'ai noté vendredi parce qu'il était très tard quand ils sont
sortis. L'horloge marquait minuit passé quand le père d'Ellie
a abandonné son confortable fauteuil devant la télé pour
monter à l'étage. Lorsqu'il est redescendu, il était
entièrement vêtu de noir. Des pieds à la tête.
- Tu ressembles au Chat botté, a fait remarquer la mère
d'Ellie.
- Si seulement quelqu'un pouvait botter notre chat, a-t-il
marmonné.
Je l'ai ignoré. Je pense que c'était le mieux.
Ensemble, ils se sont dirigés vers la porte de derrière.
- N'allume pas dehors, a-t-il dit. On ne sait jamais, si quelqu'un nous voyait.
J'ai essayé de me faufiler dehors en même temps, mais la mère d'Ellie m'a barré le
passage avec sa jambe.
- Toi, ce soir, tu restes à l'intérieur. On a déjà eu assez d'ennuis comme ça cette
semaine.
D'accord. De toute façon, Bella, Tiger et Pusskins m'ont tout raconté, plus tard. Ils
m'ont tout expliqué. Ce sont de bons copains. Ils ont tous vu le père d'Ellie ramper
sur la pelouse, avec Thumper dans son cabas bien enveloppé dans une serviette pour
qu'il reste tout propre. Ils l'ont tous vu se frayer un chemin dans le trou de la haie et
se traîner à plat ventre sur la pelouse d'à côté.

- On comprenait pas du tout ce qu'il était en train de faire, m'a dit plus tard
Pusskins.
- Tout ce qu'il faisait, c'était abîmer le trou de la haie, grogna Bella. Il est
tellement gros maintenant que le berger allemand des Thompson pourrait y passer
sans problème.
- Le père d'Ellie doit très mal y voir la nuit, a renchéri Tiger. Il lui a fallu une
éternité pour trouver le clapier dans le noir.
- Et pour forcer la porte.
- Et pour faire rentrer le pauvre Thumper.
- Et pour l'installer soigneusement sur son lit
de paille.
- Et bien roulé en boule.
- Et bien entouré avec de la paille.
- Comme s'il dormait.
- Il avait l'air vivant, a fait Bella. J'aurais pu
m'y laisser prendre. Si quelqu'un était passé à
ce moment-là, il aurait pu croire que ce
pauvre vieux Thumper était mort, heureux et
en paix, de vieillesse, pendant son sommeil.
Et ils se sont tous mis à miauler de rire.
- Chut ! je leur ai dit. Doucement, les gars. Ils vont entendre et je ne suis pas
supposé être dehors ce soir. Je suis puni.
Ils se sont tournés vers moi.
- Arrête, qu'est-ce que tu racontes ?
- Puni ?
- Mais pourquoi ?
- Pour meurtre. Lapincide avec préméditation.