OKILELE
Quand il est né, Okilélé n'était
pas beau. Ses parents, ses frères, sa sur dirent
: " Oh ! Qu'il est laid ! "
Okilélé pensa que c'était son prénom.
Et chaque fois qu'il l'entendait, il se précipitait.
Alors, son père, sa mère, ses frères
et sa sur finirent par l'appeler Okilélé.
Surtout ses frères et sa sur qui aimaient beaucoup
l'appeler.
Un jour, il vit qu'il n'avait pas la même tête
que les autres. Il décida de se fabriquer un masque
pour être comme tout le monde.
Parfois, Okilélé attachait les gens de sa
famille avec des cordes pour parlophoner tous ensemble.
Il arrivait à bien les attacher, il n'en oubliait
aucun
mais, à chaque fois, son parlophone
était trop serré, et les choses ne marchaient
pas du tout comme il voulait.
Souvent, le matin, il prenait un bain de café au
lait, et se faisait des bateaux-tartines à la confiture
de crème de gruyère au chocolat.
Certains jours, il n'était jamais bien. Dans tous
les coins où il s'installait, il dérangeait
quelqu'un
ou quelqu'un le dérangeait.
Même s'il ne faisait pas de bruit, dans la cabane
qu'il avait construite pour être tranquille. Et quand
il réussissait à être à table
en même temps que tout le monde, tout le monde était
fâché. Alors, il se cachait sous l'évier
pour pleurer. Il y restait des heures entières, et
là, on le laissait tranquille et même on l'oubliait.
Okilélé décida se s'installer sous
l'évier. Il construisit un lit suspendu et quelques
meubles avec tout ce qu'il trouvait dans la poubelle et
qui pouvait encore servir. Il entreprit aussi de se coudre
une cape pour se protéger du froid et de la pluie.
C'est alors qu'il rencontra Martin Réveil. Okilélé
répara Martin Réveil qui avait été
cassé et jeté à la poubelle. Ensuite,
Okilélé brancha l'électricité.
Cette nuit-là, Martin Réveil raconta l'histoire
de sa vie à Okilélé, c'était
une histoire gaie le soir et triste le matin. Okilélé
apprit à lire et à écrire en mangeant
de la soupe aux lettres avec son nouvel ami. Avec lui, il
agrandit sa Maison-Sous-la-Terre. Ils creusèrent
de nombreux tunnels. Tous les matins, ils inventaient une
pièce qui s'ajoutait aux autres. Le soir, ils construisaient
le parlophone géant . Avec un vieux poste de radio
beaucoup de fil électrique et des tas de choses
cassées qu'ils trouvaient dans la poubelle. Okilélé
voulait parlophoner avec les étoiles, savoir pourquoi
les choses étaient comme ça et pas autrement.
Une nuit, les étoiles répondirent. Elles dirent
que quelque part, sur une planète, on avait besoin
d'Okilélé.
Okilélé ne sortait plus beaucoup de sous l'évier.
Pourtant, un lundi, il dérangea les autres un peu
plus que d'habitude. Ses parents entrèrent dans une
grande colère. Il eut tellement peur, qu'il ne put
rien dire d'autre que : " Pitouille ! Pitouille ! "
Mais ses parents ne sortirent pas de
leur colère.
Ils ne voulaient plus le voir. Qu'il retourne dans son trou.
Et qu'il y reste ! Jusqu'à la Fins des Fins ! Son
père prit des briques et du ciment et l'enferma sous
l'évier.
Okilélé décida de partir avec Martin
Réveil pour chercher les voix qui lui avaient parlophoné.
Et trouver le quelqu'un qui avait besoin de lui. Okilélé
et son ami marchèrent dans la nuit. Ils marchèrent
longtemps dans plusieurs nuits. Jusqu'au jour de Gradusse,
l'éléphant muet. Une cafteuse tomba du ciel
pour expliquer ce qui était arrivé à
Gradusse qui n'avait pas toujours été muet.
Okilélé réfléchit et dit à
Gradusse : " Si tu as eu le dernier mot, tu l'as toujours,
et un mot c'est suffisant
Prononce donc ton dernier
mot ! " C'est ce que fit Gradusse. Et il fut délivré.
Il décida d'accompagner Okilélé parce
qu'il était très pressé de lui rendre
service pour le remercier.
La cafteuse, qui les suivait de près, savait comment
faire avec la boît-Taréponz. Okilélé
allait enfin entendre les réponses à toutes
les questions qu'il posait, et à celles qu'il ne
se posait pas. Mais voilà, gradusse arriva avant
lui. Le mot n'était pas le bon. La Boît-Taréponz
s'envola. A cause de Gradusse, okilélé ne
pouvait plus poser ses questions, ni savoir où était
le quelqu'un qui l'attendait. Il dit au revoir à
Gradusse
et s'en alla, seul, avec Martin Réveil,
Sans plus savoir quel jour on était. " Maintenant,
c'est aujourd'hui ", lui dit un vieillard très
vieux et très sage qui dormait là. "
Il te faut suivre le fil, trouver la Vieille Forêt
et faire l'arbre ", dit aussi le vieillard très
sage à Okilélé. Okilélé
remercia et partit chercher le fil. C'était un très
petit fil, mince comme un cheveu, difficile
à voir, jusqu'à ce qu'il se transforme en
corde. Okilélé réussit à suivre
la corde partout où elle passait
sans
jamais la perdre de vue.
Il arriva au bord d'un précipice où la corde
faisait un pont. Sur ce pont, habitait un monstre qui ne
voulait jamais laisser passer personne. Surtout pas un petit
rien du tout, avec une seule trompe, comme Okilélé.
Okilélé eut très peur. Il éternua
tout son rhume noir d'un seul coup. Il avait toujours eu
un petit rhume noir. Il n'y faisait même plus attention.
Et voilà qu'il sortait complètement de lui.
Et qu'il tuait le monstre. Okilélé franchit
le pont très vite avant qu'un autre monstre ne pousse
sur la corde, ou quelque chose d' autre plus horrible. Il
entra dans le bois de silence où aucun vent ne soufflait.
La corde conduisait à une maison d'où elle
ne ressortait pas. C'était la maison de Pofise Forêt,
une vieille sorcière déguisée en vieille
femme fatiguée. Pofise Forêt demanda à
Okilélé de remplir son puits sans fond avec
une casserole percée. Elle lui demanda d'enfoncer
cinquante douze mille et trois clous dans du bois de fer.
Elle lui demanda de scier et de ranger son bois pour tous
les hivers. Elle lui demanda neuf petits déjeuners
par jour. Même la nuit. Elle lui demanda d'arrêter
son ami Martin Réveil. Okilélé refusa
et il reprit son chemin. Martin Réveil était
content, il n'aimait pas du tout Pofise Forêt. Elle
usait tellement les gens qu'il n'en restait plus que les
os. Et après, elle plantait les os autour de sa maison.
Okilélé marchait sans savoir où aller.
Il regarda les arbres :ils tenaient le ciel dans leurs branches
et la terre dans leurs racines. Ils devaient certainement
tout savoir et tout comprendre. Okilélé leur
parla, mais il n'entendit pas leurs réponses. Il
ne savait pas parler arbre.
Okilélé se souvint des paroles du vieillard
très vieux : il devait faire l'arbre. il fit un trou
et se planta dans la terre. Okilélé fit l'arbre.
Il ne bougea pas. Il pensa très fort qu'il était
un arbre. Et il sentit pousser ses bourgeons. Il sentit
pousser ses jeunes branches, il entendit le petit froissement
de ses feuilles qui se dépliaient. Comme il devenait
un très bel arbre, deux oiseaux le choisirent pour
bâtir leur nid. Les racines d'Okilélé
s'enfonçaient partout dans la terre, ses branches
s'étendaient partout dans le ciel. Il apprenait les
secrets des pierres qui sont aussi vieilles que la terre.
Et ceux du ciel qui sont immenses. Il apprit également
le langage des oiseaux en écoutant les leçons
que recevaient les oisillons. Et le jour où les oisillons
s'envolèrent, Okilélé cessa de faire
l'arbre. Il jeta ses branches et quitta ses racines. Il
savait parler arbre, il savait parler oiseau. Il parlophonait
avec le monde entier. Il posa mille questions à n'importe
qui, sur n'importe quoi, pendant trois jours et trois nuits.
La troisième nuit, un arbre dit à Okilélé
: " Maintenant, tu peux parlophoner à qui tu
veux. Pourquoi ne pas aller sur cette planète où
quelqu'un t'attend ? " L'arbre avait raison . Okilélé
sauta sur le sol. Martin Réveil aussi.
Okilélé planta une montagne. La montagne sortit
de terre
et se mit à pousser. Elle traversa
le ciel. Elle traversa l'espace. Et elle atteignit les étoiles.
Okilélé grimpa sur la montagne jusqu'à
une planète morte qui tournait autour d'un soleil
endormi. C'était ce soleil le quelqu'un qui avait
besoin d'Okilélé. Il parlophonait pendant
son sommeil. Dans ses rêves, il lui disait que lui
seul, Okilélé, pouvait le réveiller.
Okilélé parlophona avec les étoiles.
Il parlophona avec le plus petit caillou de tout l'univers.
Et il trouva le remède. Le soleil s'éveilla,
guérit. Et sa chaleur s'étendit à nouveau
partout autour de lui. Il donna un petit morceau de lui-même
à Okilélé et lui dit qu'il ne l'oublierait
jamais.
Okilélé redescendit de la montagne, Martin
Réveil sur ses genoux parce que c'était trop
dangereux pour lui. Il trouva la maison de ses parents en
ruines. Elle avait été trempée par
les pluies, battue par les vents, démolie par les
tempêtes. Un ruisseau la traversait. Dans la maison,
Okilélé but l'eau du ruisseau. C'était
une eau salée, une eau de larmes. Okilélé
remonta le long du ruisseau de larmes. Il grimpa sur les
rochers, escalada les falaises et arriva
dans
une forêt de sapins. Entre les troncs, devant une
cabane de branches, il reconnut ses parents. Ses parents
pleuraient sans cesse. Tout allait mal depuis qu'il était
parti. Les mots disaient le contraire, les mains faisaient
autre chose, et les repas n'avaient plus de goût.
Okilélé prépara un bon repas dans la
grande marmite de fête. Pour le goût, il mit
sa cape et les dernières gouttes du ruisseau de larmes.
Après le repas, qui dura sept heures et qui avait
quatorze desserts ordinaires et vingt-huit extraordinaires,
tout le monde dansa la Grande-Danse-de-la-Joie-Joufflue.
Le lendemain, au petit matin, toute la famille se mit au
travail, pour reconstruire la maison exactement comme avant,
sans rien changer.
Quelques jours plus tard, Okilélé regarda
son petit soleil qui était monté dans le ciel.
Il pensa à la planète morte et se souvint
qu'il avait vu une princesse se réveiller en même
temps que le soleil. Il lui restait donc une chose à
faire : aller chercher la princesse et l'épouser,
si elle le voulait bien.