VII.
Soupçon, Histoires pressées, Bernard FRIOT,
Milan (1988)
J'ai
tout de suite compris qu'il s'était passé
quelque chose de grave. Dès que je l'ai vu. Il avait
sauté sur mon
lit et il se léchait les babines d'une manière
qui m'a semblé bizarre. Je ne saurais expliquer pourquoi,
mais
ça me semblait bizarre. Je l'ai regardé attentivement,
et lui me fixait avec ses yeux de chat incapables de
dire la vérité.
Bêtement, je lui ai demandé:
- Qu'est-ce que tu as fait?
Mais lui, il s'est étiré et a sorti ses griffes,
comme il fait toujours avant de se rouler en boule pour
dormir.
Inquiet, je me suis levé et je suis allé voir
le poisson rouge dans le salon. Il tournait paisiblement
dans son
bocal, aussi inintéressant que d'habitude. Cela ne
m'a pas rassuré, bien au contraire. Jai pensé
à ma souris
blanche. Jai essayé de ne pas m'affoler, de
ne pas courir jusqu'au cagibi où je lai installée.
La porte était
fermée. J'ai vérifié cependant si tout
était en ordre. Oui, elle grignotait un morceau de
pain rassis, bien à
l'abri dans son panier d'osier.
Jaurais dû être soulagé. Mais en
regagnant ma chambre, j'ai vu que la porte du balcon était
entrouverte. Jai
poussé un cri et mes mains se sont mises à
trembler. Malgré moi, j'imaginais le spectacle atroce
qui
m'attendait. Mécaniquement, à la façon
d'un automate, je me suis avancé et j'ai ouvert complètement
la
porte vitrée du balcon. J'ai levé les yeux
vers la cage du canari suspendue au plafond par un crochet.
Étonné, le canari m'a regardé en penchant
la tête d'un côté, puis de l'autre. Et
moi, j'étais tellement hébété
qu'il m'a fallu un long moment avant de comprendre qu'il
ne lui était rien arrivé, qu'il ne lui manquait
pas une
plume.
Je suis retourné dans ma chambre et j'allais me rasseoir
à mon bureau lorsque j' ai vu le chat soulever une
paupière et épier mes mouvements. Il se moquait
ouvertement de moi.
Alors, j'ai eu un doute. Un doute horrible. Je me suis précipité
dans la cuisine et j'ai hurlé quand j'ai vu...
Le monstre, il a osé! Il a dévoré...
Je me suis laissé tomber sur un tabouret, épouvanté,
complètement anéanti. Sans y croire, je fixais
la table et l'assiette retournée.
.. Il a dévoré mon gâteau au chocolat!
V.
Je thaine, Nouvelles histoires pressées, Bernard
FRIOT, Milan (1992)
Les
autres, ils ont des petites amies. Mais moi jai une
grande ennemie. Elle sappelle Virginie. Je la connais
depuis la maternelle, mais avant, cétait comme
si elle nexistait pas. Maintenant cest tout
le contraire. Je
pense à elle sans arrêt. Même la nuit
quand je dors.
Je la déteste. Je la trouve moche, archi laide, affreuse
à faire peur, avec ses cheveux blonds bouclés
et ses
grands yeux bleus, comme le produit quon verse dans
les waters.
Tous les jours, je lui envoie des petits mots. Mais pas
des mots doux, des mots durs : « Grosse soupière,
reste dans ton buffet. » Ou bien : « Sale limace,
arrête de baver sur mes salades. » Elle me répond
sur du
papier à lettres vert épinard, parfumé
à leau de Javel et décoré de
têtes de mort.
Quand on est en rang, je me mets derrière elle pour
lui faire des croche-pieds dans lescalier. Elle, elle
me
pince les mollets en tournant trois fois. Ça fait
mal.
Cest la première fille que je déteste
comme ça. Je la détesterai toute ma vie, jen
suis sûr, même dans dix
ans, quand je serai grand. Mais elle, est-ce quelle
pensera encore à moi ? Jeudi dernier, à la
récré, elle
sest bagarrée avec Frédéric.
Elle lui a tordu le nez en criant, devant tout le monde
: « Je te déteste ! Je te
déteste ! »
Jétais mort de jalousie, mais jai fait
semblant de ne rien entendre. Elle aurait été
trop contente. Pour me
venger, je lai laissée tranquille quand on
est rentrés en classe. Je lui ai même souri,
pour lui faire croire que
je ne la détestais plus. Et pendant le cours de math,
jai envoyé un billet à Rachel, la fille
qui est assise à
côté delle. Jai écrit :
« Rachel poubelle, tu es la reine des ordures ! »
Jai fait exprès de mal viser et le billet
est tombé sur la table de Virginie. Quand elle la
vu, elle est devenue toute pâle.
A la sortie, elle ma couru après. Jai
couru aussi, mais elle ma attrapé par le bras
et elle ma enfoncé ses
ongles dans la main. Je ne me suis pas défendu. Ça
la rendu folle de jalousie. Elle a crié :
- Dis-le moi, dis-le-moi que tu me détestes !
IV.
Loup-Garou, Nouvelles histoires pressées, Bernard
FRIOT, Milan 1992
Antoine
entre en courant dans la classe. Il est en retard, comme
dhabitude.
- Monsieur, monsieur ! Crie-t-il encore tout essoufflé,
cette nuit jai vu un loup-garou.
- A la télé ? demande Céline.
- Mais non, en vrai.
- Oh, arrête tes conneries, dit Fabien.
- Il veut faire lintéressant, dit Valérie.
- Hou
hou
hou
loup-garou ! Hurle Damien,
pour rire.
Le maître, lui, enfonce son bonnet sur ses oreilles.
- Mais si, je vous jure, dit Antoine. Il était habillé
comme un homme, mais jai vu ses pattes toutes poilues
avec des griffes longues comme ça !
- Et il avait du vernis sur ses ongles ? demande Aline en
se tordant de rire.
Toute la classe sesclaffe bruyamment.
Le maître, lui, de ses mains gantées de noir,
redresse le col de son manteau.
Antoine sénerve :
- Puisque je vous dis que je lai vu ! Même quil
avait des oreilles pointues et deux grandes dents, là,
comme
un loup. Et ses yeux ! Tout rouges, comme du feu ! Jai
eu une de ces trouilles quand il ma couru après
! Je
me demande comment jai pu lui échapper
Mais plus personne ne lécoute. Il attend un
instant, puis sassied, déçu à
sa place.
- Taisez-vous ! Crie le maître dune voix rauque,
animale. Les yeux cachés derrière dépaisses
lunettes
noires, il regarde Antoine fixement et marmonne entre ses
dents :
- Toi, la prochaine fois, je ne te louperai pas !